ÉDITORIAL

Exposition après exposition, le musée de l’Armée s’attache à ménager à ses visiteurs des rendez-vous avec l’histoire et… avec l’actualité, que le rappel d’événements anciens vient souvent éclairer, sans que de telles rencontres résultent nécessairement d’une intention délibérée.

Le retour proposé en cette année 2017 sur la guerre franco-allemande et la Commune procède, pourrait-on penser, d’une autre démarche, plus dégagée de préoccupations contemporaines. Mais l’apparence en est trompeuse. Pour dramatique qu’elle soit, cette séquence qualifiée par Victor Hugo d’« Année terrible » nous paraît lointaine mais c’est parce que nous peinons à imaginer à quel point elle a marqué durablement les consciences dans les deux pays.

Les pères de l’Europe eurent la mémoire moins courte que leurs contemporains, à moins que, précisément, leurs efforts pour susciter sur le continent des mutations durables aient été couronnés de succès au point de par venir à effacer largement le souvenir des événements qui constituèrent la matrice durable de l’antagonisme franco-allemand. Il faut dire que leurs parcours les prédestinaient à la fois à se souvenir et à tirer toutes les leçons du passé. Aucun ne l’incarne mieux que Robert Schuman, né allemand en 1886, qui fréquenta le Kaiserliches Lyceum de Metz puis fit ses études à Bonn, Berlin et Munich, avant de devenir français en 1918 et d’être élu député de la Moselle dès l’année suivante.

Ce projet s’imposait donc à nos yeux parce qu’il fournit à notre établissement une nouvelle occasion de traiter à la fois de faits historiques et de leurs mémoires, en retraçant leur succession historique, et mettant en évidence leur stratification complexe, c’est à dire leurs enjeux d’une actualité insoupçonnée.

En outre le musée de l’Armée se devait de consacrer une exposition à ce conflit et ce pour plusieurs raisons qui lui sont propres. La première tient à son histoire, puisqu’il est né de la fusion du musée d’artillerie, cher à Napoléon III, et du musée historique de l’armée, pur produit du patriotisme de la Troisième République et des efforts de refondation de l’Armée qu’elle entreprit. En ce sens la guerre franco-allemande et ses suites sont un moment fondateur de l’institution. La seconde, directement liée à la précédente, s’explique par l’extraordinaire richesse des collections de militaria, de peintures et de photographies relatives à cette période, qu’il a très tôt constituées et continûment enrichies. La troisième est due à l’organisation du parcours proposé à ses visiteurs, lequel résulte de son découpage en départements chronologiques  : les salles dites «  modernes  » sont closes par le récit de la guerre à proprement parler, cependant que celles qui sont consacrées aux deux guerres mondiales s’ouvrent sur la mémoire des combats, telle que les grands peintres de bataille l’ont entretenue et cultivée, puis sur le chantier de réorganisation de l’armée entrepris dès les années suivantes par la Troisième République. Cette articulation, si significative soit-elle, rend difficile sinon impossible l’appréhension complète par le grand public de cette séquence capitale pour l’histoire de notre pays et du continent européen.

Quelques partis se sont imposés pour traiter un tel sujet.

Parmi ceux-ci, il faut d’abord mentionner celui de ne pas dissocier la Commune de la guerre, tant elle en résulte et contribue à faire de 1870 – 1871 une « Année terrible ».

Le choix d’ouvrir largement l’exposition aux approches de l’histoire politique, de l’histoire économique, de l’histoire sociale et de l’histoire culturelle, en découle bien évidemment  ; c’est par ailleurs celui qui a été fait par le musée en bien d’autres circonstances, notamment pour aborder le fait colonial, afin que l’histoire militaire soit toujours présentée dans un cadre plus large qui la remette en perspective, en étroite corrélation avec les autres champs de l’histoire.

Il a semblé tout aussi important de porter une attention égale aux divers acteurs de la guerre franco-allemande, à leurs motivations et à leurs représentations du conflit, indispensable même pour en renouveler la perception par le grand public et lui montrer à quel point il a durablement marqué les relations entre les deux pays, leur histoire à chacun et celle du continent européen dans son ensemble. Les efforts entrepris par les commissaires pour réunir des objets, œuvres et documents aussi divers que possible par leurs provenances comme par leurs statuts, procèdent de cette démarche et incarnent la multiplicité des sources de l’historien comme celle des facettes et des enjeux des événements qu’il étudie.

David Guillet

Directeur par intérim du musée de l’Armée

Occultée par les deux conflits mondiaux, la guerre entre la France et l’Allemagne de 1870 à 1871 est aujourd’hui un sujet souvent méconnu du grand public tant français qu’allemand, alors qu’elle représente un moment fondateur dans la relation entre ces deux pays, autour de laquelle se noue déjà l’avenir de l’Europe.

« Année terrible », selon l’expression de Victor Hugo, elle s’achève sur une guerre civile – la Commune de Paris –, qui ne constitue pas un accident mais bien l’aboutissement d’un processus préexistant, que les tensions sociales et l’élan de patriotisme déclenché par la défaite française ont contribué à mettre en œuvre.

L’exposition a ainsi pour ambition de proposer un nouveau regard sur la guerre de 1870-1871, en offrant les points de vue des deux nations, qu’ils soient immédiats ou rétrospectifs, et en inscrivant ce conflit dans des perspectives chronologiques plus longues : l’une allant de 1864, qui marque le début des guerres d’unification allemande, jusqu’à l’année 1875 avec la crise dite de la « guerre en vue » (Krieg in Sicht) ; l’autre débutant en 1813, correspondant aux guerres de libération allemandes (Befreiungskriege) suivies du Congrès de Vienne en 1815, jusqu’au traité de Versailles de 1919.

Les traces laissées par les témoins ou acteurs du conflit dans les arts, la littérature ou encore l’espace urbain sont nombreuses, comme le quartier de la Défense à l’ouest de Paris, la colonne de la Victoire (Siegessäule) à Berlin ou encore la Strasse der Pariser Kommune. Elles seront largement abordées dans le parcours de l’exposition, à travers une grande variété d’objets, de peintures, de sculptures, ainsi qu’un exceptionnel ensemble de photographies d’époque. De même seront évoquées les évolutions importantes issues de ces événements, qu’elles soient politiques, diplomatiques, militaires, idéologiques, sociales, économiques ou encore religieuses.

LE SAVIEZ-VOUS ?

La Défense : le quartier tient son nom du groupe sculpté La Défense de Paris, de Barrias, installé sur l’ancien rond-point de Courbevoie, d’où sont parties les troupes françaises le 19 janvier 1871 pour la seconde bataille de Buzenval. Cette dernière est commémorée par une rue et une station de métro.

Rue et station de métro Quatre-Septembre : il s’agit du 4 septembre 1870, date de la proclamation de la Troisième République par Léon Gambetta à l’Hôtel de ville de Paris.

Place Denfert-Rochereau : anciennement appelée place d’Enfer, elle fut rebaptisée du nom du colonel Pierre Philippe Denfert-Rochereau, gouverneur de la place de Belfort en 1870, qui résista cent-trois jours, du 3 novembre 1870 au 18 février 1871, au siège de la ville par les troupes allemandes. La statue placée en son centre est une réplique au tiers du monumental Lion de Belfort dû au sculpteur alsacien Auguste Bartholdi.

L’EXPOSITION EN CHIFFRES

– Plus de 320 œuvres, objets et documents

– Plus de 80 prêts provenant de musées allemands

– 20 dispositifs multimédias

– 9 panneaux dédiés aux jeunes publics

PARCOURS DE L’EXPOSITION

La guerre de 1870-1871 constitue un moment fondateur dans la relation franco-allemande, autour de laquelle se noue, à l’époque, l’avenir de l’Europe. Elle met en effet un terme à l’équilibre connu sous le nom de Concert européen, fondé sur la prépondérance de la diplomatie, ainsi qu’au « repos de l’Europe », idées qui ne renaissent, sous une autre forme, qu’après 1945.

Ce conflit oppose un pays qui construit son unité depuis des siècles et l’a consolidée au gré de la succession des régimes politiques (la France), à un autre, composé d’états plus jeunes, qui ne s’est pas encore véritablement constitué (l’Allemagne).

En France, malgré la proclamation de la République, les tensions sociales préexistantes et l’élan de patriotisme soulevé par la défaite conduisent à la Commune de Paris et à l’éclatement d’une guerre civile. En Allemagne, la victoire est le fondement de l’unité du pays, que symbolise la proclamation de l’Empire dans la galerie des Glaces à Versailles. De part et d’autre, la diversité et la multiplicité des mémoires de la guerre, françaises et allemandes, officielles ou personnelles, permettent de saisir l’impact durable du conflit sur les sociétés.

Enfin, ces événements s’inscrivent dans des perspectives chronologiques plus longues qui en révèlent les racines comme la portée  : l’une allant de 1864, qui marque le début des guerres d’unification allemande, à l’année 1875 et à la crise dite de la « guerre en vue » (Krieg in Sicht) ; l’autre allant des guerres de Libération (1813-1815) et du Congrès de Vienne (1815) au traité de Versailles de 1919 qui met fin à la Première Guerre mondiale.

http://www.musee-armee.fr