INTRODUCTION À L’EXPOSITION

Le Musée de la Romanité : une programmation innovante pour tous publics

Depuis le 2 juin 2018, date de son ouverture, le Musée de la Romanité prend sa place dans le paysage culturel et touristique international et participe à la valorisation du territoire nîmois en ayant déjà accueilli plus de 370 000 visiteurs. Ses collections permanentes permettent de découvrir 25 siècles d’Histoire de Nîmes et de sa région grâce à 5 000 œuvres exceptionnelles présentées autour de 65 dispositifs multimédias. Deux premières expositions temporaires ont été présentées au public durant l’été 2018 (« Gladiateurs, héros du Colisée) et 2019 (« Pompéi, un récit oublié ») permettant au musée d’enrichir et d’élargir son discours sur le concept de « romanité » en proposant un regard différent sur cette thématique. Cette nouvelle exposition temporaire, entièrement virtuelle a été conçue dans le prolongement de la volonté pédagogique du Musée de la Romanité, en favorisant l’immersion du visiteur pour qu’il puisse vivre une véritable expérience historique

Le Musée de la Romanité propose, du 20 décembre 2019 au 8 mars 2020, une étonnante exploration virtuelle de l’Empire romain. Grâce aux formidables capacités des nouvelles techniques de numérisation de la société Iconem, le visiteur est amené à voyager dans l’Histoire, au fil de projections spectaculaires de sept sites archéologiques, tels que Palmyre, Aphrodisias, Lepcis Magna ou encore Pompéi. Alliant monuments méconnus et symboles du patrimoine mondial, l’exposition « Bâtir un Empire » invite à découvrir les modèles urbains et architecturaux des cités romaines, si différents et à la fois si semblables. Des cités romaines, notre inconscient collectif retient une organisation rigoureuse, suivant un schéma répliqué avec constance dans tout le bassin méditerranéen : cardo et decumanus, amphithéâtre, forum et colonnades, etc. Cette représentation a-telle des échos dans la réalité archéologique ? Cet Empire, imposé par les armes, dictait-il un modèle uniforme ? Ou bien, ce modèle, alimenté et adapté par les civilisations locales, présentait-il autant de divergences que de ressemblances ? Des sables d’Égypte au Mur d’Hadrien, des oppidums lusitaniens aux rivages de la mer Noire, Rome gouverne alors les destinées de centaines de peuples et de milliers de cités. Dans cet extraordinaire foisonnement de langues, coutumes, divinités et systèmes juridiques, l’Empire romain a proposé un modèle unificateur articulé principalement autour de villes implantées sur tout le pourtour méditerranéen. Les vestiges de ces cités et les témoignages antiques montrent les importantes similitudes. Le modèle culturel romain diffusé par ces cités a progressivement été adopté par de larges pans des populations locales. Grâce à un réseau dense de voies et de cités romaines ou romanisées, il était possible à un citoyen romain de parcourir le bassin méditerranéen en utilisant le latin et le sesterce. Ce voyageur, au gré de ses pérégrinations était confronté à la diversité du monde romain mais aussi à son unification progressive autour des marqueurs de la romanité. Un voyage numérique dans les mondes romains C’est ce voyage qui sera proposé aux visiteurs de l’exposition au Musée de la Romanité. Une grande carte de l’Empire les accueille pour leur permettre d’apprécier son extension maximale au IIe siècle ap. J.-C., et visualiser les sept sites qui jalonnent le parcours. Tout au long de l’exposition les visiteurs pourront découvrir des parallèles entre les grands monuments nîmois et les sites explorés numériquement. Dans le premier espace, une projection de Pompéi, la plus célèbre des villes romaines, invite les visiteurs à se familiariser avec les mondes romains.

La suite du parcours présente comment le modèle architectural romain s’adapte au sein des provinces romaines d’Orient et d’Afrique : Aphrodisias dans l’actuelle Turquie, Palmyre en Syrie, Lepcis Magna dans l’actuelle Libye, et Carthage en Tunisie. Dans un troisième espace, une projection se concentre sur le plus occidental des sites présentés dans l’exposition : Baelo Claudia, en Espagne. Le cas particulier du temple est ici analysé, en comparant celui du site espagnol à un autre temple, situé aux marges orientales de l’Empire, celui de Garni en Arménie — deux temples bien distincts qui rappelleront aux visiteurs la Maison Carrée de Nîmes. L’exposition se termine par un dispositif de réalité virtuelle, conçu par Ubisoft, et permettant de visiter deux lieux emblématiques du monde romain, aujourd’hui détruits ou difficiles d’accès : le temple de Baalshamîn, en Syrie, et la basilique romaine de Lepcis Magna, en Libye. Cette expérience a été créée à l’origine pour l’exposition « Cités millénaires. Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul » présentée à l’Institut du monde arabe à Paris du 10 octobre 2018 au 10 février 2019. Le travail de relevés numériques 3D de tous ces sites patrimoniaux — réalisé par la société Iconem à qui l’on doit les expositions « Sites éternels » au Grand Palais (2016) et « Cités millénaires » à l’Institut du Monde Arabe (2018) — est un outil de travail scientifique précieux mais aussi un support de médiation et de valorisation de ces sites. Il permet de concevoir une exposition 100% virtuelle et immersive avec des projections géantes plongeant le visiteur dans une visite augmentée saisissante. Cartographie, cartels, projections immersives afin de permettre une exploration générale ou détaillée, actualité des découvertes historiques, témoignages d’auteurs antiques permettront de dégager les points importants des marqueurs romains de la romanité. Les vues de chaque site (modèles 3D) se focaliseront sur les éléments architecturaux, partagés ou uniques. Entièrement numérique, ce voyage didactique et émotionnel sera le prolongement logique d’une visite de la ville de Nîmes et de ses monuments antiques, remis dans leur contexte, à l’échelle d’un Empire, dans une expérience à la frontière du virtuel et du réel.

PARCOURS DE L’EXPOSITION

Un peu d’histoire…

IMPERIUM

Ce terme juridique désigne à l’origine le pouvoir de commander détenu par un magistrat supérieur. Par extension, l’Empire renvoie à l’ensemble des populations et des territoires sur lesquels s’exerce l’imperium au nom du peuple romain. Au IIe siècle de notre ère, la dynastie des Antonins repousse les limites de l’Empire romain au-delà du Danube et jusqu’aux confins de la Mésopotamie. De l’Écosse au Sahara, de l’Atlantique à l’Euphrate, autour de Rome et de l’Italie, plus de quarante provinces font alors de la mer Méditerranée un véritable lac romain. En 212, l’empereur Caracalla accorde la citoyenneté romaine à tout homme libre vivant dans l’Empire mais, au-delà du statut juridique, qu’est-ce qui fonde l’identité romaine ? Quels sont les facteurs qui permettent à un habitant des provinces de se sentir romain ? On a souvent opposé la partie occidentale de l’Empire qui connut une romanisation rapide, en particulier en Gaule et en Espagne, à la partie orientale de l’Empire, durablement marquée par des modèles d’inspiration grecque.

Existe-t-il un modèle romain partagé dans l’ensemble des provinces de l’Empire ? Y a-t-il des critères architecturaux et urbanistiques de romanité ? Se distinguent-ils en fonction des régions ? Pendant des années, les historiens ont étudié la romanisation comme un processus par lequel des sociétés vaincues se soumettaient aux formes d’organisation de leur vainqueur. Ce concept de romanisation, aujourd’hui discuté, avait le mérite de rendre compte de l’impression d’homogénéité ressentie lorsqu’on compare des villes romaines pourtant très diverses et très éloignées les unes des autres. En réalité, Rome n’a jamais cherché à imposer un modèle culturel ou politique unique à des provinces aux langues, aux traditions et aux divinités multiples.

Pourtant, dans sa diversité même, le monde romain apparaît en effet comme un monde unifié autour de marqueurs très clairs de romanité, dans les monnaies qui circulent, dans les inscriptions dont se couvrent les forums, dans les feuilles d’acanthe qui s’enroulent contre les chapiteaux corinthiens, dans les techniques de construction comme dans les sanctuaires du culte impérial, les thermes, les amphithéâtres, les basiliques ou les arcs honorifiques qui structurent l’urbanisme. Et si une immersion dans les villes des mondes romains permettait de voir les différents visages de la romanité ? L’exposition « Bâtir un Empire » propose cette immersion grâce aux techniques innovantes de numérisation de notre patrimoine. Le Musée de la Romanité a fait appel à Iconem, une entreprise française spécialisée dans ce domaine. À l’aide de ses drones, appareils photos et algorithmes, Iconem a produit les modèles 3D de plusieurs sites romains majeurs. L’exposition invite à découvrir sous un nouveau jour les mondes romains grâce aux sites de Pompéi (Italie), Aphrodisias (Turquie), Garni (Arménie), Palmyre (Syrie), Lepcis Magna (Libye), Carthage (Tunisie) et Baelo Claudia (Espagne). Cet échantillon urbain issu de toutes les rives de la Méditerranée doit permettre de comprendre ressemblances et différences de ces mondes romains. Il s’agira également pour les visiteurs de confronter directement leur apprentissage à l’environnement du Musée de la Romanité, situé au cœur de Nîmes, où l’on retrouve les principaux marqueurs architecturaux et urbanistiques de la romanité. La ville possède en effet un amphithéâtre, l’édifice qui révèle par excellence le mode de vie à la romaine d’une communauté, mais aussi deux complexes liés au culte impérial.

Le premier, la Maison Carrée, est l’un des temples romains sur podium les mieux conservés du monde ; tandis que le second sanctuaire du culte impérial se situe dans les jardins de la Fontaine. La ville antique possède encore de nombreux tronçons de son enceinte, une partie de ses tours et de ses portes urbaines.

Autre signe caractéristique des modes de vie romains : le réseau hydraulique connu à Nîmes à travers son château d’eau et son aqueduc dont le Pont du Gard n’est que le tronçon le plus monumental.

UN MODÈLE ROMAIN TYPE POMPÉI

L’objectif de la première projection est de présenter une ville romaine dont on connaît les limites, de montrer l’organisation rectiligne de l’urbanisme et les principaux monuments publics qui seront évoqués ensuite : amphithéâtre, théâtre, forum, basilique, temple consacré à la triade capitoline. Brutalement interrompue par le Vésuve en octobre 79 de notre ère, la période proprement romaine de Pompéi ne dura que 158 ans. Elle commence en 80 av. J.-C. lorsque la cité devient une colonie de citoyens romains, quelques années seulement après avoir été assiégée par Rome lors du conflit qui l’opposa à ses alliés italiens. On estime que cette ville de 66 ha comptait 12 000 habitants. Auparavant, cette cité qui se développe dès le VIe s. av. J.-C. en territoire osque avait connu, comme l’ensemble de la Campanie, des influences multiples – grecques, étrusques, samnites et romaines. Les institutions qui se mettent en place dans la nouvelle colonie ressemblent beaucoup à celles de Rome : deux magistrats élus pour un an exercent le pouvoir aux côtés d’une assemblée composée des élites locales (les décurions) et de deux édiles. Sur le forum, le temple sur podium qui remontait au IIe s. av. J.-C. est alors réaménagé pour accueillir la triade du temple du Capitole de Rome : Jupiter, Junon et Minerve. Autre modification urbanistique liée à la mise en place de la colonie romaine : la construction par les deux magistrats en charge de la colonie d’un grand amphithéâtre dans l’angle sud-est du rempart de la ville. En 3 ap. J.-C., un sanctuaire public de la Fortune Auguste s’implante à son tour : cet élément de culte impérial est encore un autre marqueur très fort de la romanité de Pompéi. Ensevelie sous 4 à 5 m de cendres et de pierres ponces, Pompéi ne commença à être explorée archéologiquement qu’à partir du milieu du XVIIIe siècle. Au sein de l’exposition, la projection commence par une traversée à vol d’oiseau du sud vers le nord de la ville de Pompéi en remontant la rue de Stabies. Puis on s’approche de l’amphithéâtre, du quartier des théâtres avant de se rapprocher du centre monumental (le forum, le Capitole, la basilique).

LES VILLES ROMAINES ONT-ELLES TOUTES UN PLAN ORTHONORMÉ ?

Ancêtres de nos ingénieurs topographes et héritiers des techniques étrusques de bornage, les arpenteurs romains étaient désignés sous le nom d’agrimensores parce qu’ils étaient en charge de mesurer le territoire des cités, ou encore sous celui de gromatici parce qu’ils utilisaient pour ce faire un instrument topographique appelé groma – une équerre en forme de croix sur laquelle quatre fils à plomb étaient suspendus. « Les anciens ont enfermé les mesures des terres dans des lignes longitudinales orthonormées. Ils ont d’abord établi deux limites : un axe dirigé de l’orient à l’occident et ils l’ont appelé decumanus ; le second, du midi au septentrion, qu’ils ont appelé cardo. » Hygin le Gromatique (Ier s. ap. J.-C.) Ces deux axes régulateurs, cardo maximus et decumanus maximus, étaient implantés perpendiculairement à partir d’un point zéro. Il suffisait ensuite à l’arpenteur de déplacer la groma le long d’un de ces axes pour implanter un axe parallèle. La répétition de cette opération très simple permet à deux personnes de rapidement diviser un territoire en parcelles de surface égale ou de mettre en place un réseau viaire orthonormé. En réalité, l’orientation des axes structurants ne correspond pas systématiquement aux points cardinaux.

La ville d’Augustodunum (Autun, en Gaule lyonnaise) est fondée à l’époque augustéenne sur un plateau vierge de toute occupation antérieure. Son cardo maximus n’est pas un axe strictement orienté nord-sud mais l’axe de symétrie du plateau : le travail de l’arpenteur ne consiste donc pas seulement à implanter un schéma géométrique mais à observer et à prendre en compte la topographie naturelle des lieux. Celle-ci joue en effet un rôle important dans l’organisation de l’urbanisme – par exemple, pour déterminer le tracé du rempart ou du réseau hydraulique. L’architecte Vitruve recommande quant à lui d’orienter les rues d’une ville en fonction du type de vents qui y souffle. Toutes les villes romaines ne sont pas dotées de ce quadrillage régulier en damier que les Anciens attribuaient à Hippodamos de Milet. Le réseau viaire est également révélateur des différentes phases de développement ou de rétraction de l’urbanisme d’une ville, comme le montre bien le cas de Pompéi dont le réseau viaire fut défini bien avant que la ville ne devienne une colonie romaine en 80 av. J.-C. La ville de Rome elle-même n’a rien d’un modèle en la matière. La romanisation ou l’appartenance au monde romain ne tient pas toujours à la reproduction d’un schéma mis en œuvre à Rome même..

LE MODÈLE ROMAIN EN ORIENT ET EN AFRIQUE

À partir des cas d’Aphrodisias, de Palmyre, de Lepcis Magna et de Carthage, l’idée est de se demander si, en s’éloignant géographiquement de Rome et de l’Italie, on s’éloigne également des modèles urbanistiques et architecturaux romains.

APHRODISIAS

La séquence consacrée à Aphrodisias montre la coexistence d’édifices qui sont de forts marqueurs de romanité (thermes d’Hadrien, sanctuaire du culte impérial) avec d’autres structures davantage caractérisées par une influence grecque (théâtre, tétrapyle du sanctuaire d’Aphrodite, agora).

LES VILLES ROMAINES ONT-ELLES TOUTES UN PLAN ORTHONORMÉ ?

Ancêtres de nos ingénieurs topographes et héritiers des techniques étrusques de bornage, les arpenteurs romains étaient désignés sous le nom d’agrimensores parce qu’ils étaient en charge de mesurer le territoire des cités, ou encore sous celui de gromatici parce qu’ils utilisaient pour ce faire un instrument topographique appelé groma – une équerre en forme de croix sur laquelle quatre fils à plomb étaient suspendus. « Les anciens ont enfermé les mesures des terres dans des lignes longitudinales orthonormées.

Ils ont d’abord établi deux limites : un axe dirigé de l’orient à l’occident et ils l’ont appelé decumanus ; le second, du midi au septentrion, qu’ils ont appelé cardo. » Hygin le Gromatique (Ier s. ap. J.-C.) Ces deux axes régulateurs, cardo maximus et decumanus maximus, étaient implantés perpendiculairement à partir d’un point zéro. Il suffisait ensuite à l’arpenteur de déplacer la groma le long d’un de ces axes pour implanter un axe parallèle. La répétition de cette opération très simple permet à deux personnes de rapidement diviser un territoire en parcelles de surface égale ou de mettre en place un réseau viaire orthonormé. En réalité, l’orientation des axes structurants ne correspond pas systématiquement aux points cardinaux. La ville d’Augustodunum (Autun, en Gaule lyonnaise) est fondée à l’époque augustéenne sur un plateau vierge de toute occupation antérieure. Son cardo maximus n’est pas un axe strictement orienté nord-sud mais l’axe de symétrie du plateau : le travail de l’arpenteur ne consiste donc pas seulement à implanter un schéma géométrique mais à observer et à prendre en compte la topographie naturelle des lieux. Celle-ci joue en effet un rôle important dans l’organisation de l’urbanisme – par exemple, pour déterminer le tracé du rempart ou du réseau hydraulique. L’architecte Vitruve recommande quant à lui d’orienter les rues d’une ville en fonction du type de vents qui y souffle. Toutes les villes romaines ne sont pas dotées de ce quadrillage régulier en damier que les Anciens attribuaient à Hippodamos de Milet. Le réseau viaire est également révélateur des différentes phases de développement ou de rétraction de l’urbanisme d’une ville, comme le montre bien le cas de Pompéi dont le réseau viaire fut défini bien avant que la ville ne devienne une colonie romaine en 80 av. J.-C. La ville de Rome elle-même n’a rien d’un modèle en la matière. La romanisation ou l’appartenance au monde romain ne tient pas toujours à la reproduction d’un schéma mis en œuvre à Rome même…

UNE EXPLORATION VIRTUELLE DES MONDES ROMAINS

Située à proximité de carrières de marbre et réputée pour la virtuosité de ses ateliers de sculpture, Aphrodisias appartient à la province d’Asie, l’une des deux plus riches de l’Empire romain avec l’Afrique proconsulaire. Sa fondation remonte au début du IIe s. av. J.-C. La ville d’Aphrodisias tire son nom de la déesse Aphrodite, la divinité protectrice de la cité, dont le sanctuaire est l’un des seuls ensembles de la ville à ne pas s’intégrer dans l’urbanisme orthogonal. On a notamment conservé sa porte monumentale qui prend la forme d’un subtil tétrapyle, c’est-à-dire d’un ensemble composé de quatre piliers, eux-mêmes constitués de quatre colonnes chacun. La ville est un formidable exemple qui combine d’anciennes traditions grecques et anatoliennes avec des pratiques romaines nouvelles. Son théâtre associe dans une formule originale des gradins à la grecque avec un mur de scène à la romaine. On ne trouve aucune trace d’amphithéâtre à Aphrodisias mais un grand complexe consacré au culte de l’empereur divinisé témoigne de la force des liens entretenus avec Rome. Autour du temple de cet Augusteum (appelé Sebasteion en grec), des bas-reliefs mêlaient des scènes inspirées de la mythologie grecque avec des représentations des empereurs julio-claudiens. Aphrodite, la Vénus romaine, était supposée être la mère d’Enée, le Troyen qui s’établit en Italie pour fonder une ville nouvelle et dont le fils Iule était considéré comme l’ancêtre de la famille des Julii – la famille de Jules César, d’Auguste et de ses successeurs. La division de l’Empire romain au cours du IVe s. ap. J.-C. fait passer Aphrodisias sous le contrôle des empereurs de Byzance. Plusieurs tremblements de terre pourraient avoir accéléré le déclin de la ville. La projection d’Aphrodisias commence par la splendide porte monumentale du sanctuaire d’Aphrodite. Ensuite, plusieurs édifices situés autour de l’agora au centre de l’urbanisme sont explorés tour à tour : le Sebasteion, les thermes d’Hadrien, le portique de Tibère et le théâtre de tradition grecque qui est comparé aux théâtres de tradition romaine de Lepcis Magna et de Palmyre.

LE THÉÂTRE : ADAPTATIONS ROMAINES D’UN ÉDIFICE GREC

A l’origine, le théâtre est un édifice typiquement lié à la culture grecque : c’est le lieu d’une représentation dramatique jouée en l’honneur de Dionysos. Pendant longtemps, à Rome, on se contenta de construire des théâtres de bois provisoires pour donner ces spectacles sacrés. L’interdit de bâtir un théâtre en dur à Rome ne fut brisé qu’en 55 av. J.-C. par Pompée le Grand. « Les théâtres des Grecs ne sont pas en tout point conformes à ceux des Latins. » Vitruve (Ier s. av. J.-C.) L’île de Délos fournit un bel exemple de théâtre grec. Doté de 5 000 places, il fut construit dans le deuxième tiers du IIIe s. av. J.-C. en s’appuyant sur le relief d’une colline. Les spectateurs prenaient place dans des gradins en forme de demi-cercle outrepassé, structurellement indépendants du bâtiment de scène où jouaient les acteurs : entre les deux, une aire plane circulaire, l’orchestra, était réservée au chœur. En quoi la version romaine du théâtre se distingue-t-elle de ses modèles architecturaux grecs ? Plutôt que d’exploiter un relief naturel, le théâtre est libre de s’installer sur un terrain plat, ce qui implique d’appuyer ses gradins sur un ensemble bâti de voûtes. Surtout, les gradins forment un demi-cercle exact qui se referme contre le bâtiment de scène. De ce fait, le théâtre romain est un édifice unitaire et fermé sur lui-même qui s’intègre aisément dans un urbanisme orthonormé, comme l’illustrent le théâtre de Baelo Claudia qui date du Ier s. ap. J.-C., celui de Lepcis Magna construit par Annobal Rufus, un notable local, en 1-2 ap. J.-C. ou encore celui de Palmyre. Il ne faudrait pas croire qu’il y ait eu une stricte répartition entre des théâtres romains dans la partie occidentale de l’Empire et des théâtres grecs dans la partie orientale. Le théâtre d’Aphrodisias, construit au Ier s. av. J-C. dans la province d’Asie, combine des éléments associés au théâtre grec comme le demi-cercle outrepassé de ses gradins qui épousent la pente d’une colline naturelle, avec des éléments romains tels que son mur de scène à trois niveaux qui est architecturalement lié aux gradins. Dans les provinces occidentales éloignées de la Méditerranée, le plan de ces édifices de spectacle mêle quasisystématiquement des composantes du théâtre avec celles de l’amphithéâtre : les gradins ont souvent une forme de demi-cercle outrepassé tandis que le bâtiment de scène, réduit, fait face à un espace central qui peut servir d’arène.

PALMYRE

Avec Palmyre, on montre le site le plus éloigné de Rome. La ville de Palmyre se situait dans la partie désertique de la province de Syrie, un territoire qui devint progressivement romain à compter de 64 av. J.-C. Auparavant sous la domination de la dynastie hellénistique des Séleucides, ce vaste espace à l’interface entre la Méditerranée et la Mésopotamie était un carrefour entre la culture grecque et les civilisations du Proche-Orient. La beauté des monuments de Palmyre doit beaucoup à la richesse des caravaniers qui y résidaient quand ils ne sillonnaient pas la Mésopotamie et le Golfe Persique pour commercer avec l’Orient lointain. Malgré son intégration au sein d’une province romaine, l’influence araméenne et mésopotamienne reste très forte à Palmyre, comme l’attestent ses sanctuaires à Bêl, à Baalshamîn, à Nebô et à Allat qui mêlent des éléments gréco-romains (comme les colonnes d’ordre ionique ou corinthien) avec des traditions architecturales orientales telles que les fenêtres dans les temples ou les toits en terrasse ornés de merlons. Devenue colonie romaine au début du IIIe s. ap. J.-C., Palmyre possède toutefois un théâtre, des thermes, une vaste agora entourée de portiques et des arcs le long de l’artère à colonnades qui traverse toute la ville.

Dans les années 260 ap. J.-C., Palmyre prend en main la défense de la région contre les Perses sassanides : durant 15 ans, la reine Zénobie de Palmyre assura la défense des provinces orientales qui, de fait, cessèrent temporairement d’être sous le contrôle de l’empereur de Rome. Par la suite, Rome installa à Palmyre une garnison pour protéger la province des raids perses. Au VIIe s. ap. J.-C., la cité passa sous le contrôle des Omeyyades. Pour le visiteur antique, certaines spécificités confèrent un aspect exotique à la ville, comme le temple de Bêl qui avait des façades gréco-romaines mais qui, pour le reste, correspondait à des traditions architecturales orientales : un toit-terrasse orné de merlons, une longue rampe latérale pour accéder au podium plutôt qu’un escalier axial ou un emmarchement périphérique, un accès qui se fait sur le long côté du rectangle, et non sur les côtés courts couronnés de frontons. D’autres rappellent en revanche l’appartenance de la ville au monde romain impérial : le principal axe viaire bordé par une double colonnade, le théâtre, une agora bordée d’un quadriportique.

L’AMPHITHÉÂTRE, MARQUEUR DE ROMANITÉ PAR EXCELLENCE ?

Le vestige le plus célèbre de la Rome antique est un amphithéâtre inauguré sous le règne de Titus en 80 ap. J.-C. : l’amphithéâtre flavien, plus connu sous le nom de Colisée. Avec ses 87 000 places, il était le plus grand édifice de ce type de tout l’Empire. A titre de comparaison, l’amphithéâtre de Nîmes compte 24 000 places, Pompéi, 20 000, Lepcis Magna, 15 000 et Carthage, environ 30 000. La forme ovale de l’édifice a pour but d’assurer une visibilité optimale, quelle que soit la position du spectateur dans les gradins (cavea). Ces monuments constitués de plusieurs niveaux d’arcades accueillaient des combats de gladiateurs (munera) et des chasses d’animaux sauvages (venationes) qui avaient lieu sur la piste de sable (arena). Sous l’arène, il existe parfois des espaces techniques souterrains liés à cette industrie du spectacle pour faire jaillir combattants, cages et décors : c’est le cas à Rome, à Nîmes, à Lepcis Magna ou à Carthage. « Rien de plus nuisible pour la morale que d’assister à un spectacle. Le plaisir qu’on y trouve ouvre la porte aux vices. Un jour, par hasard, à midi, je me suis retrouvé au spectacle. J’attendais des jeux, des amusements, de la détente, une diversion qui repose les yeux du sang humain. Bien au contraire ! Le matin, les hommes sont jetés en pâture aux lions et aux ours ; le midi, aux spectateurs. Les combattants n’ont qu’une seule issue, la mort. Le problème se règle par le fer et le feu. Voilà ce qu’on fait pour éviter que l’arène reste vide. » Sénèque (milieu du Ier s. ap. J.-C.) Symbole du mode de vie romain, cet édifice aussi vaste que bruyant est souvent relégué aux limites de la ville. L’amphithéâtre est l’une des composantes les plus courantes de la parure monumentale d’une ville romaine – du moins en Italie et dans les provinces occidentales de l’Empire. En Orient, ces édifices sont rarissimes. Les Grecs trouveraient-ils ces spectacles indignes d’eux ? Pas vraiment… mais les villes grecques et orientales de l’Empire firent le choix de réaménager l’orchestra de leur théâtre plutôt que de bâtir un nouvel édifice pour accueillir ces combats et ces chasses. Comme le souligne Pierre Gros, « le modèle romain trouve ici ses limites, dans un contexte où manifestement les formes résistent mieux que les mœurs » : l’Orient concilie l’adoption de nouvelles pratiques romaines avec la fidélité à ses formes architecturales de prédilection.

Le théâtre de Palmyre est présenté dans son état de conservation antérieur aux destructions opérées par l’organisation terroriste État Islamique en 2017. La visite emprunte ensuite la grande voie à colonnade qui sert de colonne vertébrale à l’urbanisme palmyréen qui, à la différence de nombreux autres sites, ne possède pas de quadrillage orthogonal. Enfin, le temple de Bêl est montré dans une perspective surplombante qui met en valeur l’ampleur des destructions récentes : seuls les deux pans de la porte monumentale du temple émergent du dense ensemble de blocs chutés à terre.

LEPCIS MAGNA & CARTHAGE

Avec Lepcis Magna, on se situe en Afrique proconsulaire dans une province anciennement romanisée du sud du bassin méditerranéen. Vieille ville punique fondée en Tripolitaine, Lepcis Magna a compté jusqu’à 100 000 habitants. Son port commercial et la richesse de son arrière-pays font de Lepcis une ville déjà importante lorsqu’elle intègre la province romaine d’Afrique, bien avant d’être honorée du statut de colonie sous le règne de l’empereur Trajan, en 110 ap. J.-C. Déjà, la ville s’était dotée d’un forum quadrangulaire bordé de portiques, d’un grand marché (9-8 av. J.-C.), d’un théâtre (1-2 ap. J.-C.) et de plusieurs temples qui témoignent de sa romanité : un temple en l’honneur de Jupiter Dolichenus, d’Hercule, de Liber Pater, d’Auguste et de Rome. Lepcis Magna possède une parure monumentale digne des villes romaines de premier plan : en 112 ap. J.-C., un cirque est construit à proximité immédiate de l’amphithéâtre, daté de 56 ap. J.-C. La période antonine est faste pour la ville qui reçoit successivement trois arcs honorifiques sous le règne de Trajan, d’Antonin le Pieux et de Marc Aurèle. Le grand ensemble thermal remonte quant à lui à l’époque d’Hadrien (126-127 ap. J.-C.). Lepcis Magna connaît son apogée lorsque l’un de ses natifs devient empereur : Septime Sévère (192-211 ap. J.-C.). Un nouveau forum est alors construit avec une basilique à absides et un temple en l’honneur de la nouvelle dynastie impériale. Une voie large de 50 m et bordée de colonnades se met en place sur plus de 400 m de long alors qu’un splendide arc tétrapyle construit en 203 ap. J.-C. en l’honneur de la famille impériale s’installe au carrefour du cardo et du decumanus maximus. Le forum sévérien est une place dallée bordée d’un portique sur trois côtés. Au fond et au centre, on trouve un temple sur podium (configuration qui fait écho au forum de Nîmes avec la Maison Carrée, au forum de Pompéi avec le Capitole ou à celui de Baelo Claudia). La visite de cet ensemble monumental permet de montrer de nombreux blocs au sol mais aussi plusieurs colonnes et arches conservées en élévation.

La visite se poursuit par une immersion dans la grande basilique située de l’autre côté du forum. Avec ses trois nefs séparées par des colonnes corinthiennes et ses absides axiales, elle est un exemple canonique de basilique civile d’époque impériale. L’amphithéâtre est un très fort marqueur de romanité que l’on n’a rencontré ni à Aphrodisias, ni à Palmyre. La trace des souterrains présents sous la piste en lien avec l’organisation des spectacles est nettement visible. L’écran est momentanément partagé pour montrer en simultané l’amphithéâtre de Carthage, capitale de la province d’Afrique proconsulaire, dans lequel on retrouve des souterrains au plan voisin. La zone du macellum (marché) est desservie par une importante voie enjambée par deux arcs honorifiques. Montrer une place de marché permet de mettre en avant un autre aspect, distinct des monuments publics administratifs et religieux, et d’aborder la vie quotidienne et économique de la ville romaine. La visite immersive de Lepcis Magna s’achève avec l’un des plus exceptionnels arcs honorifiques de l’Empire romaine : un arc tétrapyle érigé en 203 ap. J.-C. en l’honneur de Septime Sévère et de la famille impériale par ses concitoyens de Lepcis.

Carthage Ancienne colonie phénicienne fondée sur le rivage de l’actuelle Tunisie, Carthage fut prise d’assaut et rasée en 146 av. J.-C. par les troupes de Scipion Emilien au terme de la troisième guerre punique. Son territoire fut alors annexé pour créer une province romaine d’Afrique dont la capitale fut établie à Utique, 30 km plus loin. À partir de l’époque augustéenne, au moment du changement d’ère, une colonie romaine fut toutefois implantée à l’emplacement de l’ancienne Carthage. Dotée d’un urbanisme en damier très régulier, la colonia Julia Karthago se développa progressivement au cours du Haut Empire au point de supplanter Utique au IIe s. ap. J.-C. pour devenir la capitale de la province de l’Afrique proconsulaire avec ses 200 000 habitants. C’est la colline de Byrsa qui sert de centre à l’urbanisme : elle accueille un forum bordé de portiques et d’une basilique là où se croisent le cardo et le decumanus maximus. De nombreuses structures témoignent de l’importance de la Carthage romaine : son port militaire, protégé à l’intérieur des terres, son vaste port commercial, l’un des plus actifs de la Méditerranée, et ses grands thermes construits sous le règne d’Antonin le Pieux. On note également la présence de nombreux monuments de spectacle : un amphithéâtre de plus de 30 000 places construit dès le Ier s. ap. J.-C., un immense cirque de 65 000 places et un théâtre bâti à l’époque antonine, puis un odéon de 5 000 places à l’époque sévérienne.

ÉTUDE DE CAS : BAELO CLAUDIA

Le parcours continue avec une projection du site espagnol de Baelo Claudia, dans la province de Bétique. Il s’agit notamment d’étudier un monument typique du modèle romain : le temple. Les vestiges les plus anciens de Baelo remontent à l’époque augustéenne, c’est-à-dire aux décennies à la charnière du changement d’ère, mais on pense que la ville fut fondée au IIe s. av. J.-C. sur un établissement punique (carthaginois). Située en bord de mer, au niveau du détroit de Gibraltar, la ville est dotée d’un mur d’enceinte dont les tronçons conservés épousent le réseau strictement orthogonal des rues avant de se rejoindre au nord de la ville. L’urbanisme se met en place à l’époque augustéenne mais c’est dans la deuxième moitié du Ier s. ap. J.-C. que Baelo connaît un grand programme de monumentalisation. Les trois temples consacrés à la triade capitoline (Jupiter, Junon et Minerve) ont été construits sous les règnes de Claude et de Néron entre 50 et 65 ap. J.-C. Des travaux se poursuivent dans les décennies suivantes tout autour du forum, au niveau du marché, de la basilique, d’un temple consacré à Isis et du théâtre. C’est la promotion de la ville au statut privilégié de municipe sous le règne de Claude qui explique la monumentalisation de Baelo Claudia. Cette petite ville de Bétique tirait sa prospérité de ses activités portuaires et de la production de garum, un condiment très prisé réalisé à partir de poisson fermenté dans le sel. Baelo Claudia a été frappée par un séisme à la fin du IIe s. ap. J.- C. mais la ville continue d’être occupée durant toute l’Antiquité tardive, même après le délitement de l’administration provinciale romaine. Le site est abandonné durant la période de domination des Wisigoths au début du VIIe s. ap. J.-C. avant d’être redécouvert au XVIIIe siècle. L’exploration archéologique commença en 1917 et se poursuit actuellement sous la conduite de la Casa de Velázquez. Dans l’exposition, une vue générale du site permet de montrer l’orthogonalité de l’urbanisme avant de plonger en direction du centre monumental. Au centre de ce réseau viaire orthogonal, la zone du forum s’organise autour d’un espace central bordé, au sud, d’une basilique, à l’ouest, de bâtiments administratifs, au nord, de temples en l’honneur de la triade capitoline et à l’est, de boutiques. Les temples du forum avec leur podium et leurs colonnes libres uniquement en façade (plan pseudo-périptère) rappellent la Maison Carrée à Nîmes.

Garni Ancienne satrapie des Perses achéménides passée sous la domination de la dynastie séleucide, l’Arménie profite des victoires de Rome contre Antiochos III au début du IIe s. av. J.-C. pour se libérer de cette tutelle. La ville de Garni est mentionnée par Tacite sous le nom de Gornea mais elle est surtout connue pour avoir été une forteresse et la résidence d’été des rois d’Arménie. La forteresse de Garni ne dépend pas d’une province gouvernée par un magistrat romain, elle fait partie d’un royaume dont les élites ont souvent regardé du côté de l’Empire romain tandis que le peuple se sentait plus proche de leurs voisins parthes. La construction du temple remonte probablement au règne de Tiridate I er d’Arménie, vers 76 ou 77 ap. J.-C. lorsque l’Arménie est devenue un protectorat romain. À le regarder rapidement, le temple de Garni pourrait avoir des faux airs de Maison Carrée avec son podium, son escalier axial et sa façade de six colonnes. En réalité, ce temple présente deux caractéristiques qui le renvoient davantage à une tradition architecturale grecque que romaine : non seulement, il arbore un ordre ionique bien reconnaissable aux volutes de ses chapiteaux, mais il possède aussi une colonnade libre sur ses quatre côtés qui permet de circuler tout autour du naos. En 1679, le violent séisme qui frappa l’Arménie fut fatal aux colonnes et aux murs du temple de Garni avant qu’il ne suscite au XIXe s. la curiosité des voyageurs, puis vers 1910 l’attention des archéologues. Les fouilles réalisées à Garni ont révélé une occupation ininterrompue du site pendant plusieurs siècles ainsi qu’une variété d’influences grecque, araméenne et arménienne.

L’écran est provisoirement partagé afin de montrer, à titre de comparaison, le temple de Garni : l’édifice possède lui aussi un podium avec escalier axial mais appartient à une catégorie architecturale bien distincte avec sa colonnade libre sur ses quatre côtés (plan périptère). Il combine ainsi des éléments très romains (podium et accès axial) avec une colonnade d’ordre ionique libre sur quatre côtés, à la grecque. L’Arménie n’est pas une province orientale de l’Empire romain mais un royaume-client de Rome, ce qui explique ce mélange tout à fait inhabituel. Après ce détour à l’autre bout de l’Empire, le regard retourne à Baelo Claudia pour se poser sur le théâtre de la ville. Cet édifice de spectacle s’inscrit dans l’urbanisme orthogonal de la ville. De plan romain, ses gradins semi-circulaires viennent se refermer sur le mur de scène. Avec Baelo Claudia, on dispose d’un exemple d’urbanisme et d’architecture extrêmement romanisé – point commun que la province de Bétique partage avec la Gaule narbonnaise.

À QUOI RECONNAÎT-ON UN TEMPLE ROMAIN ?

Un temple sert à abriter la statue d’une divinité dans une pièce que l’on appelle naos en grec ou cella en latin. Symboliquement, il s’agit donc d’une demeure divine. Ces édifices religieux présentent une grande variété de plans faisant écho à la multitude des dieux et des déesses d’origine diverse qui coexistent autour de la Méditerranée. Certaines formules architecturales sont caractéristiques des mondes grecs comme celle de la tholos (un naos de plan circulaire entouré par une colonnade circulaire), la présence d’une colonnade libre entourant le cœur du temple ou le système d’emmarchement bas permettant un accès périphérique au temple (la crépis). Ces dispositifs sont toutefois attestés de manière minoritaire à Rome ou dans les provinces occidentales. Dans les provinces nord-occidentales (Germanies, Trois Gaules, Bretagne), plus de 650 temples d’époque romaine se caractérisent par une cella en forme de tour dominant une galerie périphérique de même plan (circulaire, quadrangulaire ou polygonal). Cette formule romaine, très en vogue au Ier et au IIe s. ap. J.-C., est paradoxalement qualifiée de « romano-celtique » parce qu’elle est inconnue des provinces méditerranéennes de l’Empire. « Tous les dieux ne peuvent avoir des temples construits dans les mêmes proportions, à cause de la différence que produit, dans les cérémonies, la diversité des sacrifices. » Vitruve (Ier s. av. J.-C.) Pour autant, le temple ne se réduit pas à sa fonction religieuse. La place parfois très centrale qu’il peut avoir dans l’urbanisme, dans l’axe du forum, est un marqueur indiscutable de l’appartenance d’une ville au monde romain. Ces temples sont tous bâtis sur un podium rectangulaire qui leur confère une position dominante et qui n’est accessible que par un unique escalier axial sur leur petit côté. Aucun d’eux n’est entouré par une colonnade libre. Ce n’est pas par hasard que ces temples à la formule très romaine soient consacrés au trio de divinités poliades de Rome – on parle alors de Capitole, du nom de la colline sur laquelle s’élève le temple consacré à Jupiter, Junon et Minerve à Rome – ou qu’ils soient liés au culte impérial comme à Aphrodisias ou Nîmes. Le temple de Bêl est quant à lui un temple de tradition syro-mésopotamienne construit en 32 ap. J.-C. De loin, il pouvait passer pour un temple grec avec ses frontons et une colonnade libre sur ses quatre côtés. Parce que Bêl est le dieu de Palmyre, son temple présente une architecture très singulière pour un temple bâti à l’époque romaine : l’accès au naos se fait sur un côté long au moyen d’une rampe tandis que son toit-terrasse, orné de merlons festonnés, laisse le naos à ciel ouvert. À quoi reconnaît-on alors la romanité du temple de Bêl ? Il possède au moins deux marqueurs forts : le podium qui le surélève et les chapiteaux corinthiens de son décor architectural.

ALLER PLUS LOIN DANS LE VOYAGE : UNE IMMERSION EN RÉALITÉ VIRTUELLE DÉVELOPPÉE PAR UBISOFT

Ubisoft, premier éditeur français de jeux vidéo, propose au public une immersion réaliste et sensible en réalité virtuelle dans deux des sites de l’exposition : Palmyre en Syrie et Lepcis Magna en Libye. Cette expérience a été créée à l’origine pour l’exposition « Cités millénaires. Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul » présentée à l’Institut du monde arabe à Paris du 10 octobre 2018 au 10 février 2019. Elle est proposée au sein de l’exposition « Bâtir un Empire » grâce à l’aimable accord de l’Institut du monde arabe. Auteur de la série Assassin’s Creed, dont le succès s’appuie sur la reconstitution détaillée et vivante de villes, de monuments, de civilisations oubliées, Ubisoft s’intéresse aux travaux de sauvegarde numérique du patrimoine, et a collaboré à l’exposition « Cités millénaires » en produisant une expérience inédite, réalisée à partir de modèles 3D d’Iconem issus de la photogrammétrie. À l’occasion de l’exposition « Bâtir un Empire », Ubisoft adapte cette expérience en la recentrant sur deux vestiges importants de la Romanité, le temple de Baalshamîn à Palmyre et la basilique de Lepcis Magna. La réalité virtuelle s’est imposée en raison de la très forte immersion qu’elle procure et de sa simplicité d’accès pour les utilisateurs de tous âges. Le visiteur muni d’un casque se retrouve à l’intérieur des monuments. Il peut se déplacer dans un périmètre de 9m2 et regarder partout autour de lui pour mieux apprécier le cadre des édifices. Un travail subtil sur le son, les animations et les éclairages permet de faire revivre ces lieux, pour offrir au visiteur la sensation incroyable de présence sur les lieux. Pour Baalshamîn, aujourd’hui entièrement détruit, l’expérience de VR fait ressurgir sur les ruines du temple une reconstitution 3D du monument réalisée grâce aux travaux de l’Université de Lausanne. Le visiteur peut même revoir l’arbre qui avait poussé près de l’autel. À Lepcis Magna, les ruines sont toujours debout, bien que menacées par l’érosion et la mer. Le visiteur peut admirer à la fois le détail des colonnes proches, et les perspectives formées par celles plus lointaines.

LE DEVENIR DES SITES ROMAINS

Que sont devenus les édifices des villes de l’Empire avec l’effacement progressif ou brutal du pouvoir de Rome dans les provinces ? Cette traversée de près de 16 siècles a soumis les vestiges antiques à la double menace de l’action destructive de la nature et de l’homme. Les catastrophes naturelles les plus violentes ont bien souvent découragé les survivants de réparer les dégâts et les ont, à l’inverse, incités à reconstruire autrement ou ailleurs leur vie : ce fut le cas de Pompéi, rayée de la carte en octobre 79 ap. J.-C. par l’éruption du Vésuve mais aussi, dans une moindre mesure, d’Aphrodisias, de Garni, de Lepcis Magna ou encore de Baelo Claudia qui furent frappées par des séismes. Quant à Palmyre, une partie des vestiges du sanctuaire de Bêl avait survécu à ses transformations successives en forteresse au XIIe s., en mosquée et en village. Entre 2015 et 2017, après avoir exécuté Khaled Assad, l’ancien directeur des antiquités de Palmyre, l’organisation terroriste État Islamique fait exploser les vestiges du temple de Baalshamîn, du temple de Bêl, de l’arc honorifique, de la voie à colonnade, du mur de scène du théâtre et de plusieurs tombeaux situés à l’extérieur de la ville. La ville de Carthage subit d’importantes destructions au Ve s. ap. J.-C. du fait des Vandales menés par Genséric avant d’être méthodiquement dépouillée de ses marbres à compter du VIIe s. ap. J.-C. De fait, le sort habituel des sites antiques, même dans les cas de continuité d’occupation, consiste à servir de carrière de matériaux de construction. Les récupérateurs peuvent ainsi réemployer certains matériaux dans de nouvelles constructions ou les transformer – par exemple, en chaux. Même Pompéi, pourtant ensevelie sous les cendres du Vésuve, n’a pas échappé à ce phénomène : la zone du forum fit l’objet d’une récupération planifiée peu de temps après l’éruption. Les édifices antiques sont davantage préservés de ces dégradations lorsqu’ils continuent à être occupés : c’est le cas, dans la Nîmes médiévale, de la Maison Carrée qui servit de siège au pouvoir consulaire ou de l’amphithéâtre qui servit de forteresse aux Wisigoths avant de devenir un quartier très densément peuplé. En réalité, ces réutilisations préservent l’essentiel de l’aspect extérieur des édifices romains en même temps qu’elles occasionnent d’irréversibles bouleversements dans leur organisation interne. Construit en 76-77 ap. J.-C. par le roi-client de Rome, Tiridate Ier d’Arménie, le temple de Garni a connu un sort peu commun. Un tremblement de terre renversa ses murs et ses colonnes à la fin du XVIIe s. À l’époque de la République soviétique d’Arménie, dans les années 1970, on décida de reconstruire le temple en mêlant les matériaux d’origine disponibles avec des pierres neuves. C’est ce qu’on appelle une anastylose – pratique consistant étymologiquement à remettre sur pied (ἀνά) une colonne (στῦλος) effondrée. De fait, seul le podium date réellement du Ier siècle ap. J.-C.

INFORMATIONS PRATIQUES

Exposition « Bâtir un Empire.

Une exploration virtuelle des mondes romains »

Du 20 décembre 2019 au 8 mars 2020 Musée de la Romanité

04 48 21 02 10

16 boulevard des Arènes 30 000 Nîmes Horaires Ouvert tous les jours de 10h à 18h, sauf le mardi Tarifs Tarif plein : 8€ Réduit : 6€ Enfants de 7 à 17 ans : 3€ Gratuit jusqu’à 7 ans Forfait famille : 19€

(2 adultes – 2 enfants)

Conditions tarifaires

Tarif réduit – Étudiants – Demandeurs d’emploi – Enseignants sur présentation du pass éducation – Groupes à partir de 20 personnes – Pass Senior Nîmes Gratuité – Moins de 7 ans (nota : gratuité applicable pour les visites libres et les visites guidées) – Minimas sociaux – Personnes en situation de handicap + 1 accompagnant – Conférenciers nationaux ou guides-interprètes nationaux, régionaux, locaux et auxiliaires, conservateurs – ICOM (Conseil international des musées) – Carte ministère de la Culture

https://museedelaromanite.fr